La journée de lundi avait pourtant bien commencé. Dès le
matin, on est parti en dinghy du fond du lagon pour se rendre à la capitainerie
de la Marina Port-la-royale. C’est là qu’on fait nos douanes, comme à chaque
Île des Caraïbes où on pénètre dans un pays différent. Donc, on a tous nos
papiers importants avec nous, passeports, immatriculation du bateau, carte
visa. Il y a aussi dans mon sac, un petit canif couleur argent qu’Émile m’a
donné et auquel je tiens beaucoup. La capitaine de la Marina et ses adjoints
sont très accueillants. On est vraiment contents d’être là. Une fois les
formalités complétées, le sac à dos se réarme de tous les documents et se fait
oublier sur les épaules de Françoise.
On décide de faire un arrêt chez « Budget Marine ».
Il nous manque quelques accessoires pour des adaptations à faire sur Coulicou.
Il est 13 h 20, c’est fermé jusqu’à 14 h. Quarante minutes
d’attente, c’est merveilleux, c’est juste ce qu’il faut à Françoise pour faire
une petite exploration du quartier. Vingt minutes pour se perdre, et vingt
minutes pour se retrouver. C’est le bonheur. Elle laisse donc Pierre sur le
bord de la rive pour s’adonner au plaisir de cette petite marche rapide.
Le quartier rappelle certains coins de La Havane. Les
maisons sont disparates, certaines sont jolies et bien entretenues même si
elles sont modestes, d’autres sont carrément « bidonville » avec des
murs en tôle percée et des cartons dans les fenêtres. Des chiens, beaucoup de
chiens qui jappent sur son passage. Ils sont miteux, des poils arrachés, la
queue basse. Ils ont l’air de chiens battus. Deux enfants d’environ 9 ans
suivent Françoise. Elle leur demande lequel est leur chien. Ils n’aiment pas
qu’elle leur adresse la parole, c’est évident, mais le plus petit finit par
répondre. Son chien s’appelle Calvez. Les enfants quittent le chemin, mais
quelques minutes plus tard, des adolescents, peut-être 15 ans d’âge, semblent
prendre le relais. Françoise pressent qu’il est préférable de rentrer. En se
retournant, le plus grand des deux lui demande, en anglais, si elle cherche
quelque chose. Son regard est dur. Elle tente de continuer son chemin, mais le
grand adolescent se jette sur son sac, par devant, mais comme un sac à dos ne
se retire pas si facilement, il frappe de ses poings. Il a dû se faire très mal
aux mains, car les lunettes de Françoise se sont brisées sous les coups.
C’était un petit Mohamed Ali. Malgré tout, la bataille n’a pas été sans
difficulté pour lui. Il n’arrivait pas à ses fins et demandait sans succès
l’aide de son complice beaucoup plus petit, et probablement plus craintif.
Finalement, la ganse du sac a cédé, et ils se sont sauvés par la plage, avec le
sac à dos contenant tous nos papiers importants.
C’est un résident du quartier qui a dépanné Françoise et l’a
ramené à l’endroit où Pierre l’attendait. En chemin, ils ont questionné des
gens et découvert un témoin qui a vu les jeunes se sauver avec un sac. En
arrivant au quai, Pierre a eu un choc. Quelques bosses très apparentes bien que
superficielles, mais le sang qui coulait encore du nez et de quelques éraflures
donnait à l’ensemble un portrait plutôt dramatique. Les gendarmes sont venus,
nous ont conduits à l’hôpital pour les constats d’usage avant de prendre nos
dépositions et des vêtements pour analyse d’ADN. Alexia, c’est la gendarme qui
nous a reçus et soutenus depuis l’évènement. Elle est encore venue nous voir
aujourd’hui et elle nous donne beaucoup d’informations pour faciliter nos
démarches. Oui, les démarches! Parce qu’il y en a beaucoup et il faut les faire
très rapidement, car on a un voyage vers Montréal le 23 décembre. Il faut donc
récupérer de nouveaux passeports d’ici là, sans compter les autres documents à
faire remplacer. Le représentant du Consulat est venu nous rencontrer. Il nous
a aidés à remplir tous les formulaires. C’est un québécois qui vit ici depuis
35 ans. Très très gentil et surtout facilitant.
Il y a aussi la présence chaleureuse de nos amis
navigateurs, Pierre de Saphyr, qui nous a aidés à récupérer notre dinghy,
Stéphanie et Sandy d’Ambrosie, avec qui on a un lien particulier depuis la
pénible traversée, Denis de Prana qui nous a aidés à amarrer notre voilier dans
un vent à écorner les bœufs. Et puis, il y a Nycole, notre maman du réseau.
Depuis l’évènement, Françoise s’est graduellement
transformée : elle est devenue un beau petit raton laveur comme dit
Pierre. Les deux yeux au beurre noir, de plus en plus noirs, quelques grosses
bosses décoratives et quelques enflures, mais rien de cassé, à part les
lunettes. Pouvez-vous imaginer ça sur une photo de passeport? Et bien il n’a
fallu qu’un tube de fond de teint pour en venir à bout. Derrière ce fond de teint,
la vie se réorganise et le moral est bon. On a quand même bien hâte de rentrer
à la maison pour voir nos enfants et tous nos parents et amis restés à terre.
Puis, après les fêtes de Noël et du Nouvel An en famille,
nous reprendrons le voyage vers Grenade.
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